Fidèle [Kaös x Khamsin]

C'était assez déstabilisant. Cette endroit lugubre où les arbres morts servaient de cimetière. Kaös ne cherchait pas un terrain où s'installer, mais quelque chose à chasser et il était près à se battre pour cela. En marchant ainsi à travers cette plaine, le prédateur espérait dénicher quelque chose à se mettre sous la dent. C'est qu'il avait faim désormais l'animal, et cette douleur à l'estomac le mettait à cran. Et de mauvaise humeur. De très mauvaise humeur.

L'odeur des meutes lui collait encore au poil. Alors Sarcasme du Léviathan se jeta dans une flaque de boue, espérant dissimuler un temps soit peu son odeur. Bon, ça ne marchait pas encore tout à fait, mais au moins, il était moins perceptible auprès des potentielles proies qui serraient dans les parages. La truffe au sol, les oreilles pointées vers le ciel et la faim au ventre, le canidé au pelage d'ébène sale continuait de chercher de quoi se nourrir. Il sentait qu'il s'approchait de plus en plus du campement des hommes et cette odeur pestilentielle le mettait à cran.

- Bonsoir Monsieur. Il me semble que vous ayez, par mégarde, outrepassé les frontières de ce territoire. Vous seriez bien aimable de reculer, avant de déclencher la colère de ses propriétaires. Je ne fais que vous avertir, Monsieur, bien loin de moi le désir de déclencher une échauffourée, et si nous pouvions régler cela à l'amiable, ce serait merveilleux.

Le loup redressa la tête, fixant le frêle animal de son regard vairon. Il n'était pas les hommes. Et se foutait des chiens. Mais parfois il se demandait véritablement comme un animal aussi... maigre pouvait combattre. Il se tâtait à essayer mais sa raison l'en dissuada. Bien que sur ses gardes, l'autre canidé n'était pas en position d'attaque. Et puis cette façon de parler le rendait curieux. Kaös ne se redressa que peu, plissant les yeux avant d'ouvrir la bouche:

- Garde tes "monsieur" pour tes bipèdes. Pourquoi tu n'me laisses pas passer?

Il fallait avouer qu'il était curieux. Sarcasme du Léviathan n'avait jamais compris ce qui poussait les chiens à se mettre au service des bipèdes qui détruisaient encore et toujours leurs terres. Ils avaient semé le chaos autour d'eux et c'était à la nature d'en payer le prix. Ils n'étaient bons qu'à être annihiler. Alors à moins que les chiens ne soient des créatures inférieures, il ne voyait pas l'intérêt qu'ils restent à leurs côtés.

- Mais cela va de soi, je peine à croire que vous ayez l'outrecuidance de me le demander. Vous n'êtes point chez vous et de la même manière que vous rejetteriez des intrus sur votre territoire, je vous prie de partir. Il y a bien assez d'espace à explorer ailleurs... Et d'autres flaques de boue pour s'y rouler.

L'animal le dévisageait d'un air méprisant. Certainement dû au fait que son pelage commençait à croûter sous la boue qui l'en recouvrait. Oui, apparemment son camouflage olfactif n'avait pas marché sur le chien mais tant pis, son but à lui n'était que de masquer son odeur aux potentielles proies qu'il pouvait croiser sur son chemin. Enfin ça, c'était avant de décider d'aller se balader dans le camp interdit aux gros canidés comme lui. Ah, il était sûr que les bipèdes rêvaient d'avoir à leur botte des animaux de sa taille, plutôt que des clébards de toutes les formes et couleurs. Hum, si celui en face de lui pouvait paraître gracile et élégant, à ses yeux il était tout sauf tailler mon la vie sauvage.

- Il serait convenable, à cette heure, que chacun aille se coucher sans faire d'histoires, Monsieur.

Kaös resta campé sur ses positions: il n'avait pas franchement l'intention de se battre pour le moment, mais entrer ça, oui, ça l'intéressait fortement. D'autant plus si quelqu'un le lui intedissait.

- On risque d'avoir un problème alors. J'veux entrer. Bouge ou convainc moi de ne pas entrer.

Après tout, l'animal avait l'air doué d'un certain don philosophe qui ne devait pas forcément être utile de l'autre côté de la plaine. Il s'assit, calmement, d'un air presque civilisé si on excluait la boue qui le maculait encore et attendit que le chien expose ses arguments qu'il démonterait certainement un par un dans le fin fond de sa boîte crânienne.

- Je vous épargnerai l'argument simple mais intemporel du respect de la demeure d'autrui, inscrite depuis toujours, pacte tacite entre membres de toutes espèces, au vu votre intérêt pour ce dernier. En revanche je ne puis que vous rappeler votre nature sauvage, dont vous aimez, en général, tant vous targuer. Sachant que vous vivez à base de chasses, il serait, pour toute créature dépendante de sa santé, stupide de se lancer dans un combat. Peut-être gagneriez-vous contre moi, et qui sait, contre les bipèdes? Mais pas indemne. Oseriez-vous parier sur le fait que vous auriez la force de ramper jusqu'à un Chaman? Certaines blessures bien placées aux pattes ou à l'échine se révèlent diaboliquement mortelles... Sur le long terme. Entraînant la mort par infection ou inanition.

... Ok, ça allait être long. Néanmoins, l'imposant prédateur consentit à s'asseoir, en même temps que le chien philosophe qui lui faisait face. Même s'il n'aimait pas se disperser dans les mots, fuyant les longues conversations habituellement, il ne rechignait pas à écouter un monologue censé. Après tout dans son univers, tout allait très vite, les discours avaient cédé leurs places à des actions brutales. Mais ici, à la limite entre deux mondes, le loup pouvait consentir à écouter, ouvrir ses oreilles, plisser les yeux et intégrer ses paroles.

- Et tout cela pour quel butin ? La vision nocturne d'une lignée de tanières dont les chiens mêmes ne saisissent pas la structure, mais qui certes, tiennent sur leurs pattes. Toutefois, elles ne demeurent que des amas de matériel, dans lesquels dorment hommes et chiens, susceptibles je vous le rappelle, de vous trouer la pelisse joliment. Quant au gibier, il pullule dans les plaines non loin d'ici, et a fui cette zone mouvementée, agitée par le pas des bipèdes, eux-même prédateurs. Ici, convenez-en, à part la satisfaction de répondre à votre esprit, aussi téméraire que têtu, vous n'obtiendrez rien d'autre. Outre des combats, des blessures et des hurlements, surtout les vôtres, croyez-le, rien ne vous attend sur ce tronçon de terre, minuscule aux regards des paysages diverses et infinis qui s'étendent au-delà de l'horizon endormie.

Les arguments n'étaient pas mauvais pour ne pas dire bon. La fluidité du langage n'empêcha pas le Sarcasme du Léviathan de rester attentif à chaque mot, chaque parole. Il était calme, beaucoup plus calme. A vrai dire, son attitude avait changé du tout au tout - encore une fois - et, lunatique malgré lui, il ne pouvait faire autrement que de suivre le changement. Sa tête se pencha négligemment vers la droite alors que le chien en face de lui se redresser. Kaös n'avait pas l'intention de combattre, pas le philosophe en tout cas.

- Les bipèdes se sont installés sur des terres qui n'étaient pas leurs, c'n'est pas c'que j'appelle le respect du territoire d'autrui. Quant aux combats, ils peuvent être une raison de vivre pour bien des loups, surtout si ceux-ci sont portés contre des envahisseurs. De plus, j'ai à disposition deux chamans qui pourraient me guérir non loin. Même si ce n'est pas ta raison d'être, retiens bien que certains ne survivent qu'en se battant, seul exutoire à leur colère pour éviter de basculer dans la folie.

L'animal s'était adapté au style de l'autre canidé, basculant ses phrases courtes à une conversation plus... pas soutenue mais qui coïncidait davantage au discours qu'on venait de lui débiter. La langue passa sur sa truffe alors qu'il ne laissait aucun signe de gêne transparaître sur son corps, toute agressivité -s'il y en avait- étant refrénée, contenue pour que son échange verbale n'en pâtisse pas.

- Il est là tout l'intérêt de pénétrer dans des zones interdites. La découverte de l'autre monde, le frisson de l'inconnu et du danger. N'as-tu jamais mis la patte à l'extérieur de ce halo de terre?

Il fit semblant de ne pas remarquer l'air méprisant que lui servait le gardien. Après tout, c'était le genre de mimique à même de l'agacer plus que de raison. Une sorte de bruit sourd bien loin derrière lui fit tiquer son oreille, sans qu'il accepte de se retourner, son regard vairon encré dans celui du lévrier.

- La vie sauvage a un goût de liberté que les humains ne peuvent offrir. Malheureusement, le danger va de paire avec celle-ci. Il faut savoir faire avec. La curiosité est un vilain défaut seulement si on le décide. Et seulement si on nous prive de liberté d'aller et venir ou bon nous semble...

Sarcasme du Léviathan allait continuer son monologue mais le bruit se répéta derrière lui. Il finit par tourner la tête, scrutant le ciel derrière lui. De la fumée. Près de sa tanière. Et de celle d'une certaine louve. Hum. Il savait qu'elle était certainement à même de se débrouiller seul mais Kaös préférait vérifier que sa tanière n'allait pas finir en cendre et son garde-manger avec. Tout comme il pouvait également jeter rapidement un coup d'oeil à l'antre de sa soeur adoptive. Un soupir lui échappa alors qu'il jetait un regard au lévrier.

- ... je dois y aller. Mais je reviendrais profiter de ta philosophie. Entre temps, ne te fais pas tuer, hum?

Le prédateur se détourna et repartit au petit trop de là où il était venu. Ca l'agaçait de ne pas avoir pu jeter un coup d'oeil à l'antre des bipèdes mais il avait tout de même pu faire une rencontre pour le moins... intéressante. Il avait bien l'intention de revenir écouter le chien, histoire d'en savoir un peu plus.